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La Cour de cassation redéfinit le groupe de reclassement

L’obligation de reclassement s’étend aux entreprises du groupe, lequel se définit par une entreprise dominante et les entreprises qu’elle contrôle, au sens du code de commerce. En adoptant cette définition du groupe de reclassement, la Cour de cassation adapte sa jurisprudence à la législation issue des ordonnances Macron.

L'affaire

Une quinzaine de salariés licenciés pour motif économique dans le cadre d’un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) à la suite de la liquidation de leur entreprise reprochaient au mandataire liquidateur de n’avoir pas cherché à les reclasser au niveau du groupe. Ils soutenaient en conséquence avoir fait l’objet d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Toute la question était ici d’identifier le groupe en tant que périmètre de reclassement. En effet, la société liquidée avait une société-mère, laquelle appartenait à une holding. Cette holding dépendait elle-même d’un fonds commun de placement à risque, géré par une société que nous appellerons « F », qui avait acquis 85 % de son capital.

Pour les salariés licenciés, le périmètre de reclassement englobait le fonds commun de placement (et, par voie de conséquence, les entreprises dans lesquelles les fonds étaient investis). La Cour de cassation a néanmoins approuvé la décision de la cour d’appel de débouter les salariés de leurs demandes de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Fidèle à sa jurisprudence, la Cour de cassation note l’absence de preuve de possibilités de permutation de tout ou partie du personnel entre la société liquidée et les entreprises dans lesquelles les fonds de placement gérés par la société F étaient investis. Nous retrouvons ici les critères habituels du groupe en tant que périmètre de reclassement, c’est-à-dire des sociétés dont les activités, l’organisation ou le lieu de travail ou d’exploitation permettent la permutation de tout ou partie du personnel (cass. soc. 5 avril 1995, n° 93-42690, BC V n° 123).

Toutefois, ce point n’est évoqué que de manière incidente. Les juges ont d’abord et avant tout recherché si la société « F » contrôlait ou non la société liquidée.

Quel groupe de reclassement ?

Rappelons en effet que le groupe peut aussi se définir par rapport aux règles du comité de groupe. Il est alors constitué par une entreprise dominante, dont le siège social est situé sur le territoire français, et par les entreprises qu’elle contrôle, dans les conditions définies à l’article L. 233-1, aux I et II de l’article L. 233-3 et à l’article L. 233-16 du code de commerce (c. trav. art. L. 2331-1).

La Cour de cassation relève ainsi que, selon la cour d’appel, il n’était pas établi que la société F détenait directement ou indirectement une fraction du capital de la holding lui conférant la majorité des droits de vote dans les assemblées générales. Par conséquent, on ne pouvait pas considérer que cette société contrôlait la société liquidée, au sens du code de commerce.

De même, la cour d’appel a seulement relevé l’existence de liens de contrôle et de surveillance entre la société F et la holding. Elle n’a pas constaté que le pacte d’associés définissant les droits et obligations respectifs de la holding et de ses divers actionnaires, dont le fonds commun de placement à risque géré par la société F, conférait à cette dernière le droit d’exercer une influence dominante sur la holding, toujours au sens du code de commerce.

La Cour de cassation approuve donc la cour d’appel d’avoir adopté une approche « capitalistique » du groupe en tant que périmètre de reclassement, ce qui, au premier abord, peut surprendre.

En effet, deux arrêts du 16 novembre 2016 avaient tracé une frontière nette entre le groupe en tant que périmètre d’appréciation du motif économique et le groupe en tant que périmètre de reclassement (cass. soc. 16 novembre 2016, n° 14-30063 et 15-19927, BC V n° 216) :

-dans le premier cas (appréciation du motif), le groupe se définissait effectivement par une société dominante et des sociétés contrôlées ;

-mais, dans le second (périmètre de reclassement), il fallait rechercher les possibilités de permutation du personnel, sans s’attarder sur les liens capitalistiques entre les sociétés concernées.

Ce qu'il faut retenir de l'arrêt du 20 mars 2019

Par cet arrêt du 20 mars 2019, la Cour de cassation semble donc avoir modifié son approche et réintroduit les notions de contrôle et de société dominante pour identifier le groupe de reclassement. Ce n’est qu’une fois établie l’existence d’un groupe en termes de contrôle ou d’influence dominante que l’on peut explorer les possibilités de permutation entre les entités du groupe.

Toutefois, et à notre sens, il s’agit moins d’un revirement de jurisprudence que d’une mise en conformité avec la loi nouvelle. En effet, en 2017, les ordonnances Macron ont réécrit l’obligation de reclassement pour indiquer (c. trav. art. L. 1233-4) :

-d’une part, que le reclassement s’effectuait sur les emplois disponibles, situés sur le territoire national dans l’entreprise ou les autres entreprises du groupe dont l’entreprise faisait partie et dont l’organisation, les activités ou le lieu d’exploitation assuraient la permutation de tout ou partie du personnel ;

-mais, d’autre part, que la notion de groupe désignait le groupe formé par une entreprise appelée entreprise dominante et les entreprises qu’elle contrôlait dans les conditions définies à l’article L. 233-1, aux I et II de l’article L. 233-3 et à l’article L. 233-16 du code de commerce.

Dans cette affaire, les faits étaient antérieurs aux ordonnances Macron. Mais la Cour de cassation a manifestement choisi d’adapter dès à présent sa jurisprudence à la nouvelle législation.

Cass. soc. 20 mars 2019, n° 17-19595 FSPB (1re branche du 1er moyen)

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